Plusieurs app’ d’entraide entre citoyens ou via des services privés ou boutons d’alerte déportés (comme feu Gaspard, Fastority, My Angel, etc.) ont essayé de changer la donne en matière de sécurité personnelle — sans grand succès pour le moment. Ces solutions oeuvrent à développer la vigilance, l’entraide citoyenne, et/ou l’appel à des services professionnels à la place de services publiques (avec la même limite pour ces services privés que pour les services publiques : le temps logistique d’intervention). Par ailleurs, dans Protedom, on apprend notamment l’importance des relations de voisinage dans la protection du domicile, là aussi une façon de jouer sur l’entraide immédiate et l’accès à des primo-intervenants au plus près de la situation à gérer.
D’ailleurs, nous sommes plusieurs dans le milieu de la sécurité personnelle à nous être penchés sur cet outil d’alerte qu’est le téléphone mobile et le champ incroyable de fonctionnalités que peuvent proposer les applications qu’il embarque. Il est facile en une pression du doigt de déclencher un message d’urgence auprès de ses proches avec sa dernière localisation (précise) connue par exemple. So what cela dit… c’est rassurant de savoir que l’on peut mais dans les faits, à part s’inquiéter et appeler les forces de l’ordre avec assez peu d’information, ils ne pourront pas faire grand chose dans la majorité des cas. Faire appel à des personnes situées à une distance proche est plus efficace (comme Waze a su faire avec ses Wazers qui signalent les accidents/travaux/radars… sur la route), mais il faudrait alors que l’application en question soit un succès avec des centaines de milliers d’utilisateurs et de personnes prêtes à intervenir pour aider un inconnu… un présupposé d’altruisme et de déploiement de l’app avec un coût marketing énorme, pour a priori aucun gain en face. Mais pourquoi les services publiques ne proposent-ils pas eux-même un tel service de vigilance / intervention via une app’… après TousAntiCovid, un TousAntiAgression ou TousPrimoIntervenants ?
Déjà, cela ferait exploser les stats de signalements. Ensuite et surtout, la partie entraide serait sûrement interprété comme une forme d’aveu d’échec des forces de l’ordre (alors que sur le fond non, il est évident que les personnes situées sur place seront toujours plus efficaces à intervenir que celles qui sont à plusieurs kilomètres au moment où l’agression se déroule… et on ne va pas décupler les effectifs de police pour avoir des policiers à tous les coins de rue prêts à intervenir).
Il y a une troisième limite intéressante qui est décrite dans cette expérience américaine de l’application Citizen dans cet article de Vice (pour le lire en Français, activez la traduction de votre navigateur) : « l’effort dangereux de l’application Citizen pour récompenser la vigilance. »

Nous sommes ici sur la limite du mauvais mélange argent, buzz & sécurité. Citizen a besoin de se monétiser (sinon elle ne vit pas, c’est une entreprise privée), et pour cela elle a besoin de fonctionner et d’enregistrer un maximum d’utilisateurs (pour en convertir une partie en abonnés payants), donc elle a besoin d’être efficace et faire du « buzz ». Pour cela il y a déjà une fonctionnalité de partage des vidéos des situations d’urgence à but d’actualités (savoir ce qu’il se passe pas loin de chez soi) qui promeut aussi à mon sens une forme de voyeurisme (les vidéos d’urgence sont intéressantes à analyser à posteriori… pas en flux permanent et chaud de vidéos). Ce n’est pas de la vigilance ça…
Citizen a lancé aussi une fonctionnalité de Live stream (« vidéo en direct »). Sur un incendie à Pacific Palisades (Los Angeles) lancé par un pyromane, ce « direct » a été utilisé par l’app’ pour lancer un appel à information avec 10000$ de gains pour celui ou celle qui permettrait de trouver le fautif. Retour à la mode du REWARD des films de cow-boys en quelque sorte. En France on n’aime pas la dénonciation (rappelant de mauvais souvenirs du début des années 40), mais ailleurs c’est culturellement plus accepté. Revenons-en à Citizen… l’app a décidé de se faire le pryomane de Pacific Palisades. Les infos remontent à l’app. Une photo du suspect leur parvient, ils la diffusent sur le Live. Les décideurs de Citizen s’excitent sur leur outils de messaging interne… ils veulent trouver ce pyromane à tous prix et « avant minuit ». Un mélange d’excitation de pseudo-enquêteur derrière son écran et de business-man qui veut faire buzzer son app. Ils augmentent la prime : 20000$. Ils envoient un message à tous leurs utilisateurs de Los Angeles (plus de 800000 personnes !). Ils augmentent la prime à 30000$. Ca tourne à la chasse-à-l’homme.
En interne, un employé mentionne que l’application est elle-même en train de violer ses termes de services en dévoilant des éléments d’identification de personnes impliquées. L’audience du flux vidéo en direct augmente, 40000 suivent la chasse au pyromane (et en tout sur la journée, ce serait plus de 1,4 millions de personnes qui seront passées un moment sur ce Live). Les téléchargements de Citizen aussi.
Après minuit, la police arrête le coupable, ce n’est pas la personne innocente dont Citizen a affiché la photo (et le nom) auprès de milliers de personnes en promettant 30000$ pour savoir où il était ! 😮
L’article donne aussi des témoignages d’employés de l’app qui expliquent comment les notifications de l’app sont faites pour maximiser la sensation qu’il se passe plein de situations d’urgence autour de soi, et ainsi inciter les utilisateurs à devenir abonnés du service « Protect » que propose l’app pour 19,99$ par mois. Comme les réseaux sociaux travaillent sur vos biais cognitifs et vos croyances, Citizen joue sur votre anxiété plus que votre vigilance.
Citizen explique d’ailleurs que le cas de l’erreur sur le pyromane de Pacific Palisades n’est pas bien grave en fait, et que leur produit est le futur, que les investisseurs sont surexcités depuis cette chasse à l’homme, et que c’est juste une évolution progressive de la culture… on a l’impression d’être dans un mauvais film de SF. Pour info, Citizen recherchent toujours l’innocent pyromane… pour s’excuser cette fois-ci ! 😀
D’autres applications possibles de Citizen est de pouvoir regrouper des gens pour des recherches de personnes disparues… super sur le papier. Sauf quand cette fonctionnalité de regroupement peut tout aussi se faire pour des chasses à l’homme, par des pseudo-milices ou autres excités.
Le vrai risque de ces app’ de vigilance, notamment si elles sont privées et associées à un modèle de développement de revenus (et non publiques ou subventionnées et sans intérêt financier), c’est de devenir des app’ de paranoïa (moteur de l’abonnement), avec tout l’effet contraire déjà expliqué de nombreuses fois dans ces colonnes et dans Protegor. La paranoïa est l’ennemi de la sécu perso, au même titre que lancer une meute d’inconnus auprès d’une personne dans le feu de l’action n’est ni un acte de police ni de justice. C’est le Far West… oh wait!
La première et principale limite de la vigilance au niveau local est son rejet par les parties prenantes, surtout en milieu urbain.
Le concept même de vigilance est souvent considéré comme issu d’une idéologie d’extrême droite et l’apanage de réacs paranoïaques.
Ainsi, dans ma copro « standing », et malgré des cambriolages et autres vols dans le parking, toute proposition d’action de bon sens telle que, justement, la vigilance, est rejetée en bloc. Une circulaire du syndic invitant à bien fermer les portes et à se méfier de personnes inconnues sonnant à tous les interphones a été arrachée car jugée stigmatisante… c’est dire…
Aussi la vigilance de bon sens est le plus souvent automatique et n’a pas besoin d’application. Elle se trouvera naturellement dans des milieux peu individualistes, souvent ruraux, peu idéologiques et où les acteurs savent pouvoir compter les uns sur les autres avec la garantie de ne pas se retrouver seuls face à une menace.
L’association « vigilance / parano » en effet… pas forcément extrême droite mais parano. Il faut un discours explicatif et ça dépend de la personne qui porte le message.
Dans ma copro plutôt « bobo parisienne », il y a très longtemps on avait eu une réaction négative… au digicode, lol. Un truc de ouf, par des personnes absolument intelligentes, mais perchées en mode 68ard. Ils avaient gravé le code à la pointe à graver sur le cadre du digicode. Nawak.
Après j’ai pris en main le conseil syndical, et quand tu montres que tu es pas parano du tout, que tu as un discours sensé, tu peux progressivement faire évoluer les choses vers + de sécurité. La gardienne me soutient aussi (et c’est elle la + vigilante de tous ; c’est super un/une gardien/ne).
Du coup, changement du digicode mini 2 fois par an (c’est moi-même qui le fait, comme ça, ça traîne pas ; et le syndic fait partir les infos aux résidents), et systématiquement après une intrusion / acte de malveillance, affiches sur le comportement à tenir avec les inconnus / personnes qui attendent devant la porte (même si pas toujours appliqué, c’est sûr, c’est à la tête du client), création d’un groupe whatsapp « sécu copro » (vient qui veut), affiches aussi sur la sécu incendie et appel à mettre les installations électriques aux normes… c’est du rappel régulier en affichages et en messages lors des AG.
Pas toujours besoin que les parties prenantes soient bobo…
Dans mon immeubles certains laissent la porte de l’immeuble ouverte parce que « on a jamais été cambriolés alors il n’y a pas de voleurs ici ». Ben jusqu’au prochain cambriolage…
Bon, le grand nombre de locataires à court terme (étudiants) ne facilite pas de faire passer le message de la vigilance.
Quand à moi, avec deux trois voisins que je sais fiables on s’est mis d’accord pour jeter un coup d’oeil aux appartements des autres quand ils sont absents.
Pour le digicode, malheureusement il est inefficace. En effet, le facteur a un digic universel mais il semblerait que tous les déposeurs de prospectus de tout poil en ont un aussi. Alors même que certains locataires n’en ont pas :D.