Lors de la finale Kumite +75Kg en Karaté des JO de Tokyo, une situation très intéressante a mis en exergue l’une des différences entre sport & art martial.

La situation en question

Cette finale voyait s’affronter Tareg Hamedi d’Arabie Saoudite contre Sajad Ganjzadeh, d’Iran ; deux très bons karateka WKF. Hamedi a mis KO Ganjzadeh sur un mawashi-geri en contre, c’est la vidéo ci-dessus. L’arbitrage a disqualifié Hamedi pour contact. Ganjzadeh est parti sur une civière, et il a reçu la médaille d’or.

Le rappel des règles

Les règles sont celles du Karaté WKF que l’on qualifie parfois de « no contact » pour le distinguer du « Karaté au KO » (certains styles dont le plus connu est le Kyokushin, où le KO est recherché).

Techniquement en Karaté WKF « no contact », il y a des protections, les coups sont portés au corps et s’il y a KO (c’est relativement rare), ça peut donner la victoire à celui qui a mis son adversaire KO. Donc c’est pas vraiment du « no contact ».

En « Karaté au KO », les coups de poing au visage sont interdits, mais les KO possibles par coup de pied au visage (et tous les autres coups sur le reste du corps). En Karaté WKF « no contact », les coups de poing sont autorisés au visage mais doivent être contrôlés, c’est à dire effleurer, ou toucher sans blesser… et pareil pour les coups de pied au visage.

Quand un des deux combattants tombe et reste un moment au sol, l’arbitre compte immédiatement, comme en boxe, jusqu’à 10. Si au bout du décompte le combattant ne s’est pas remis en station debout, le combat est terminé et il existe alors différents cas possibles :

  • Cas A : Le combattant a été mis KO par un coup au corps régulier (par exemple un coup de pied arrière en plein foie, un coup de poing en contre en plein plexus…) ; il est alors déclaré « kiken » (« abandon »), et celui qui a frappé remporte le combat quelque soit le score
  • Cas B : Le combattant a été mis KO par un coup au visage :
    1. Le coup était donné sans contrôle, (ou bien avec la volonté de blesser) ; alors celui qui a porté le coup est disqualifié
    2. La blessure est accidentelle / du fait du combattant blessé (par exemple un combattant qui se jette sur le coup adverse) ; alors le combattant KO est déclaré perdant
  • Cas C : Le combattant a été mis KO par un coup irrégulier (interdit) ; son adversaire est alors déclaré perdant pour coup interdit
  • Cas D : Le combattant au sol simule. Si cela est détecté, il est pénalisé pour tricherie et est déclaré perdant

On voit que l’appréciation entre ce qui est appelé ici B1 & B2 n’est pas toujours simple, surtout dans le feu de l’action. Les cas D est aussi difficile à juger (c’est le médecin, ou un rétablissement soudain qui peut permettre de s’en rendre compte).

L’application des règles à la situation

Regardons cette situation de Hamedi vs. Ganjzadeh sur chaque cas :

  • Cas A : non car le coup a porté à la tête ; et pourtant c’est un Mawashi-Geri donné au niveau « corps », et c’est l’adversaire qui dans l’action de son coup de poing se retrouve au niveau « corps »… mais réglementairement, ça reste un coup à la tête donc ce n’est pas un cas A
  • Cas B1 : la volonté de blesser n’est pas du tout affichée, le coup est donné rapidement comme tout contre de la jambe avant, mais ne semble pas incontrôlé, même plutôt « léger ». Le résultat est toutefois un KO de plus de 10 secondes, donc B1 est possible (et retenu par l’arbitre dans le cas présent)
  • Cas B2 : si l’on considère qu’en avançant la tête en avant le combattant KO s’est exposé au risque de la blessure, rendant impossible un contrôle total d’une technique régulière de contre, B2 est possible
  • Cas C : le mawashi-geri jambe avant au-dessus de la ceinture est autorisé, donc le cas C est impossible
  • Cas D : le combattant tombe facilement, part sur une civière mais revient assez vite chercher sa médaille ; le cas D n’est pas totalement impossible même si peu probable

L’application des règles dans le contexte JO

Nous sommes ici aux Jeux Olympiques, dans la plus grosse organisation sportive du monde. Le Karaté y est présent pour la première fois. Globalement l’arbitrage du Karaté a été hyper pro tout au long de la compétition. Les moyens techniques ont permis des replay-vidéo multi-angles de grande qualité, ne laissant rien passer.

Dans ce contexte, l’arbitrage qui a finalement tranché pour un cas B1 est logique et, je pense, intelligent. L’enjeu du Karaté pour la première fois aux JO est de montrer une image sportive et « non violente » aux yeux d’un grand public qui ne connait rien aux arts martiaux et à leur esprit (et dans une société de plus en plus effrayée par toute forme de violence). Là, le message délivré par l’arbitre est clair (et beaucoup plus clair que mes cas B1, B2… incompréhensibles pour le grand public) : « il y a blessure, donc pas de contrôle, donc celui qui a donné le coup est disqualifié. »

Pour un karateka averti ou de l’ancienne école, qui a pu revoir la vidéo en long et en large et qui n’est pas dans le feu de l’action de devoir choisir en direct à la TV, il y a un gros doute de cas B2 (voire D).

D’un côté, Mme Michu qui aurait vu une image d’un KO sur un coup de pied pleine tête qui permet une médaille d’or à celui qui a exercé cette « violence », dirait « oh la la le Karaté c’est violent, je n’enverrai pas mon fils dans un club à la rentrée ».

D’un autre côté, mettons-nous dans les zoori de Ganjzadeh, un karateka de niveau international qui a consacré sa vie au karaté, obtenir une médaille d’or sur une civière… elle doit avoir un goût amer cette médaille d’or.

Art martial vs. sport de combat vs. autres sports

Je trouve cette situation très intéressante car elle illustre bien la différence entre le sport et le martial.

D’un point de vue « art martial », dans cette situation très claire avec une technique autorisée, sur un contre parfaitement placé, c’est Hamedi, l’auteur du Mawashi-geri en contre qui gagne. Pas de discussion.

D’un point de vue « sport », « fair-play », « protection des athlètes »… il ne faut pas encourager les blessures, et donc le règlement doit s’assurer que ce genre de KO soit rare (ce qui est le cas dans les règles actuelles), et donc le pénaliser.

Nous avons pour moi ici une bonne décision sportive et mauvaise décision martiale.

Ca a toujours était un sujet dans les compétitions de Karaté, même à l’époque où les protections étaient une paire de mitaines de 1cm d’épais et où tout le monde repartait avec le nez en sang. Demander le contrôle parfait à deux personnes qui se lancent l’une contre l’autre à pleine vitesse, c’est un beau challenge, et réussir à distinguer les vrais manques de contrôles, des accidents et des tricheries… c’est tout un art. Bravo aux arbitres qui s’y collent.

Toutefois on voit qu’à force de pousser les valeurs sportives, certaines attitudes changent. En Karaté, à l’origine des compétitions, dès qu’un combattant tournait le dos ou chutait, son adversaire se ruait dessus pour essayer de marquer un point et profiter de l’opportunité. C’était esprit martial, tout le monde savait que ça se passerait comme ça. Tout le monde était formé à « être prêt », « toujours concentré », « ne pas lâcher l’adversaire une seconde »…

Aux JO, on voyait le combattant américain Thomas Scott (et d’autres), tourner le dos et fuir les coups en courant en mode Tom & Jerry, et aussi des situations très « fair-play » de combattant qui remettent leurs protections tranquillement, l’adversaire laissant faire. C’est sympa, c’est cool, ça donne une bonne image. C’est pas du tout l’esprit d’un « combat ». C’est l’esprit d’un jeu. Alors est-ce qu’un sport est forcément un jeu ?

Les sports de combat ont un peu « le cul entre deux chaises », entre le combat qui n’est pas un jeu et fondamentalement pas « fair-play » (mêm si inversement hyper respectueux des adversaires, des arbitres et professeurs, dans l’esprit partagé qui est celui des arts martiaux), et le sport qui veut du « fair-play », du « feel good », du « vivre ensemble » sur un fond de message qui est « ton seul objectif c’est d’être le meilleur (que les autres) et collectionner les médailles ». C’est compliqué un peu quand même comme positionnement, pas étonnant que ça crée deux camps.

Cette situation de Hamedi vs. Ganjzadeh n’est qu’une petite illustration du fait que les valeurs du sport (qu’il est de bon ton de mettre sur un piédestal sans réfléchir…) ne sont pas parfaitement en ligne avec les valeurs de l’art martial.

Dans le prochain Karate-Bushido, qui est en maquettage, nous évoquerons l’avenir des arts martiaux traditionnels, avec notamment ce rapport « je t’aime moi non plus » avec le sport.

PS : merci Shinmen Bennosuke pour l’idée & à Jean-Marie pour les explications arbitrales

Un autre article à lire sur le Karaté ici.

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