« Hausse spectaculaire des violences en France » titrait le Figaro, il y a un peu plus d’un an, avançant une analyse statistique. Réalité scientifique ou titre racoleur pour attirer les lecteurs ? La violence augmente-t-elle vraiment en France ? Essayons de répondre à cette question.
Dans son analyse, le Figaro avait regardé les violences de type « atteintes à l’intégrité physique / coups et blessures volontaires », et cela pose d’entrée de jeu le premier niveau de réponse à la question : de quelles violences parle-t-on ?
Les différents types de violence
Différents types de violence peuvent être mesurés et, selon le contexte ou le média qui en parle, représenter plus ou moins largement un symbole de « violence dans la société ».
Notamment, sont suivies :
- La violence domestique (ou conjugale) entre partenaires intimes ou entre membres d’une même famille, incluant les violences physique, verbale, émotionnelle et sexuelle
- La violence dans les écoles inclut les actes de violence commis par les élèves tels que les bagarres, les menaces et les actes de harcèlement
- La violence urbaine qui inclut les agressions violentes dans les rues, les coups et blessures volontaires, les vols avec violence : c’est souvent ce que l’on entend par « violence » tout court, c’est le cliché de la violence
- La violence sexuelle qui comprend les viols, les agressions sexuelles et les abus sexuels. C’est un type de violence de plus en plus étudié, notamment avec la libéralisation de la parole sur le viol (#metoo) ou la prise de conscience de formes d’agressions comme le harcèlement de rue
- La violence envers les personnes vulnérables qui concerne les mauvais traitements physiques, émotionnels ou financiers infligés à des personnes âgées, en situation de handicap, ou en état de dépendance. Cette violence est peut-être moins débattue publiquement, plus tabou (car tout le monde craint ce moment de faiblesse à la fin de sa vie ?)
- La violence envers certaines communautés (en fonction de leur origine ethnique, appartenance religieuse, orientation sexuelle ou autre) est un axe d’analyse aussi de plus en plus suivi, notamment par les communautés en question qui organisent ces analyses afin de démontrer et caractériser les violences dont elles sont victimes
- La violence policière qui couvre les abus de pouvoir, la brutalité policière, les « bavures », etc. ce type de violence est trackée par des associations se positionnant en contre-pouvoir
Il faut déjà comprendre à ce stade que l’augmentation d’une de ces formes de violence n’est pas synonyme de hausse globale de la violence mais révélateur de tensions particulières. Quand les « gilets jaunes » ont multiplié les manifestations, mécaniquement la violence policière a augmenté, par simple opération de multiplication des manifestations avec débordements, le contexte le plus favorable à créer des situations propices à des actes de répressions violentes par les forces de l’ordre. En 2015, l’année de l’attentat du Bataclan, la statistiques d’homicides a explosé… tout simplement car un seul fait a rajouté 130 homicides à une moyenne de moins de 1000 par an. Quand le mariage pour tous était débattu, le sujet LGBTQIA+ était beaucoup mentionné dans les médias, créant plus de réactions de haine de la part des intolérants, augmentant ponctuellement ce type de violence sans forcément que ce soit une tendance structurelle. La vraie question à laquelle il est difficile de répondre, c’est est-ce que sur un temps plus long, de plusieurs décennies, ce type de violence augmente ? Pourquoi est-il difficile de répondre ? Parce que les méthodes de mesures ne sont pas les mêmes.
Les méthodes de mesure
Les formes de violence peuvent être mesurées à l’aide de diverses méthodes, telles que :
- Les enquêtes auprès de la population, sur un échantillon dit représentatif (méthode statistique relativement fiable qui consiste à prendre un groupe de personnes sur une dizaine de critères (âge, sexe, CSP, région…), dont les proportions dans le groupe sont les mêmes qu’en France)
- Les enquêtes auprès des victimes ou bien des forces de l’ordre
- Les statistiques policières issues de plaintes
- Le traitement de données de masse (big data)
Chacune de ses méthodes a des biais. La plus logique est celle des statistiques policières, notamment sur les dépôts de plainte, car très factuelle, mais ces statistiques ne comptent pas tous les faits qui n’ont pas donné lieu à un dépôt de plainte (soit car la victime n’a eu envie, ou besoin, ou a eu peur, soit car la police ou la gendarmerie a détourné la plainte sur une main courante, etc.). Ensuite les enquêtes auprès du public ou même des forces de l’ordre revêt toujours un aspect subjectif de perception de la violence, au-delà des faits.
La perception de la violence et le sentiment d’insécurité
Nous arrivons dans la partie sensible de l’analyse : la différence entre réalité de la violence et perception de violence. Au moyen-âge, les agressions étaient plus souvent mortelles et sanguinolentes, quant aux champs de bataille, c’était des boucheries sans nom. Jusqu’à il y a quelques décennies, les peines de mort était publiques et il était possible de voir une personne se faire décapiter. Transposé à notre époque, ce niveau de violence est considéré au-delà du tolérable, sûrement à raison (un être humain n’est pas fait pour aller regarder un de ces congénères se faire décapiter). A l’inverse, au moyen-âge, il n’y avait pas BFMTV ou ITELE ou des milliers de comptes de réseaux sociaux qui partagent à foison toutes les informations et images de violence possibles et inimaginables. Il n’y avait pas non plus Hollywood ou l’énorme business des jeux vidéos, qui eux aussi sont de gros promoteurs de violence. Pourquoi autant de violence sur les écrans ? Car le public aime. De l’action violente dans un film, c’est spectaculaire. Dans un jeu-vidéo, ça peut être un moyen de se défouler (a fortiori dans un monde où justement la violence décroit d’ailleurs…). Et donc, plus on voit ou entend parler de violence, plus on est sensible à la violence et plus on perçoit son omniprésence. Pire, la violence peut nous plonger en plein paradoxe dit de « l’insatisfaction croissante » que Tocqueville avait constaté aux Etats-Unis déjà au XIXe siècle : plus une situation s’améliore, plus l’écart avec la situation idéale se réduit, mais plus cet écart est perçu comme intolérable. Autrement dit, plus nous irons vers moins de violence, plus nous percevrons que le peu de violence qui reste est inacceptable.
Sortir de son biais cognitif
Les lecteurs de Valeurs Actuelles aujourd’hui sont abreuvés d’articles qui soulignent la hausse de la violence et l’ensauvagement de la société. A l’inverse, ceux qui suivent des médias de gauche n’auront soit pas d’article sur le sujet soit des articles contradictoires ou sur les violences policières. Et sans forcément que les journalistes de chaque part ne mentent outrageusement… une étude même si pleine de chiffres n’est pas une science exacte et selon le modèle employé, la question posée, ou les hypothèses prises, les conclusions tirées peuvent s’inverser. La seule solution est d’aller soi-même sur différentes sources, comme le site de l’INSEE, sur la partie « Interstats » du site du ministère de l’intérieur, sur des sites d’associations… pour plonger dans les chiffres, comprendre la complexité des nomenclatures, et là où sont les vraies augmentations de violence, en % mais aussi en valeur brute (car parfois un gros pourcentage ne représente que peu de cas).
Interstats 2023
Dans le dernier rapport Interstats qui conclut sur l’année 2023 et montre sous forme de graphe une évolution sur plusieurs années, les chiffres montrent des augmentations depuis 3 ans (ce qui était normal en 2021 vu que l’année 2020 avait été particulièrement basse en termes de crimes & délits raison du confinement) sur quasiment toutes les typologies de crimes et délits. Cela peut être vu comme assez inquiétant. Notamment, les plaintes pour violences sexuelles explosent, ce qui mélange une réalité de terrain et aussi une libération des victimes à porter plainte sur ce sujet. Les coups et blessures volontaires aussi augmentent fortement. La violence semble se mettre à augmenter globalement et sensiblement depuis 3 ans, sans non plus exploser ni se rapprocher de la violence de nombreux pays dans le monde… mais quand même cela doit se sentir sur le terrain : bon courage à nos gendarmes et policiers, et à la justice derrière. Pas besoin de tomber dans la parano, mais raison de plus de bosser sa sécurité personnelle !
A ma petite échelle, j’ai un ressenti de violence plus fort.
Je pense qu’on peut l’associer à la crise économique (et sociétale? Ou l’aspect sociétal est une conséquence?) de ces dernières années.
Quelques observations:
-il y a plus de personnes qui mendient et comme la concurrence augmentent entre elles (et que les gens, plus pauvres, donnent moins), certaines sont plus agressives dans leurs sollicitations.
– des proches qui travaillent subissent des exigences plus importantes (restrictions budgétaires obligent) ce qui les stresse et les rends plus agressifs. Exemple: j’ai une amie, pourtant douce de caractère, qui a insultée une dame dans le métro parce qu’elle trainait devant les portes. L’amie en était à la 10ème heure de sa journée de travail (transports inclus) d’une longue semaine…
– les gens en général sont tendus avec l’inflation ce qui les rend stressés donc en cas de petit conflits dans la rue (cf ci dessus), ils ont tendance à réagir de manière plus agressive.
– ce n’est pas dans mes observations, mais je suppose que ce qui vaut pour les simples citoyens vaut pour les forces de l’ordre donc ça pourrait expliquer les risques de dérapage plus élevés.
Oui, ce n’est alors pas une mesure de la violence, mais un ressenti de l’augmentation des tensions/crispations qui participent ou peuvent participer à une augmentation de violence. Ce sentiment semble assez partagé, subjectivement ; il faudrait trouver une étude fiable qui mesure l’évolution de cette perception des tensions et petits conflits. Ces petits conflits n’amènent pas, dans la majorité des cas, à des situations de violence avec dépôt de plainte. C’est une contingence, une zone où la société peut pressuriser un peu sans que ça éclate complètement en vraie violence (encore faut-il être alignés sur la définition de violence ; si on compte les petites incivilités dans la violence, c’est alors une « augmentation de la violence », mais je suis parti d’une définition qui met la violence un cran au-dessus). Après, plus il y aura d’individus sous pression, plus les conflits augmenteront et le volume qui dégénérera en violence augmentera. En conclusion, je ressens cela plus comme un risque potentiel pour le futur (et une situation qui n’aide pas à se dire « ça va aller mieux naturellement dans les prochaines années ») que comme une « augmentation de la violence » constatée à date